Depuis le sommet de l’Union africaine en juillet 2018, un État de la diaspora africaine a été officiellement créé. Le 24 octobre, son gouvernement va présenter ses premières actions et ses chantiers en cours. Mais à quoi sert-il vraiment?
L’Union africaine compte cinq zones géographiques (Nord, Sud, Est, Ouest et Centre). Mais depuis 2003, une sixième région a été officiellement ajoutée dans les statuts : la diaspora africaine. Cette entité s’est aujourd’hui transformée en un État avec un gouvernement propre, dont Louis-Georges Tin, ancien président du Cran (Conseil représentatif des associations noires de France), est le Premier ministre. En décembre 2014, le Mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz, qui présidait alors l’Union africaine, l’avait mandaté pour mettre en place les institutions de cette diaspora africaine. Le 24 octobre prochain, une journée d’action va se tenir à Paris pour présenter ce nouvel État.
France 24 : D’où est venue l’idée de créer un État de la diaspora africaine ?
Louis-Georges Tin : L’idée est aussi vieille que l’esclavage lui-même. Les esclaves déportés d’Afrique ne demandaient qu’une chose : pouvoir rentrer chez eux ou au moins renouer le contact avec le continent. Établir cette connexion est depuis longtemps l’une des idées phares du panafricanisme. Depuis 2003, la diaspora est reconnue comme une entité essentielle par l’Union africaine. J’ai été mandaté par l’ancien président de l’Union africaine [le président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz, NDLR] pour donner corps à cette entité. C’est ainsi que nous avons créé une Constitution, un gouvernement, un État en quelque sorte.
Nous avons notre siège à Accompong, en Jamaïque. C’est le territoire des esclaves marrons qui au XVIIIe siècle a obtenu de la Couronne britannique sa reconnaissance, sa souveraineté et son indépendance. L’Union africaine a jugé qu’il méritait d’être le siège de la diaspora africaine. Mais, nous sommes présents un peu partout dans le monde et donc en capacité de discuter avec tout le monde.
En quoi consiste cet État ?
L’objectif est de renforcer l’Afrique par la diaspora et la diaspora par l’Afrique. Ce gouvernement regroupe une vingtaine de personnes à parité, qui viennent de l’Inde, du Brésil, du Panama, des États-Unis, de France, de Belgique. Nous avons un Parlement dans toutes les régions du monde et surtout, nous avons un programme. Nous avons d’abord cette carte d’identité que nous lançons. Elle représente la citoyenneté. Nous avons également la banque de l’État de la diaspora africaine, une compagnie aérienne, une chambre de commerce ou encore un programme sur les restitutions et les réparations. Toutes les activités concrètes de cet État permettront d’organiser la coopération internationale à laquelle nous sommes attachés.
Quel est le profil des gens qui souhaitent obtenir la citoyenneté ?
Ce sont des personnes d’ascendance africaine, soit de la jeune diaspora, c’est-à-dire des personnes qui ont migré depuis une, deux, trois générations maximum, soit de la vieille diaspora, des gens comme moi par exemple, qui suis martiniquais, dont les ancêtres ont été déportés depuis l’Afrique et qui sont malgré tout liés par cet héritage historique. Cela concerne potentiellement 350 millions de personnes à travers le monde. Vous avez 100 millions d’afrodescendants au Brésil et plus de 40 millions aux États-Unis. Toute l’Amérique centrale est également très concernée, ainsi que l’Europe. C’est une population considérable qui pourrait constituer dans quelques années, le troisième pays du monde après la Chine et l’Inde.
En quoi cette citoyenneté peut-elle être utile ?
La carte d’identité a notamment trois fonctions. D’abord une fonction symbolique : on appartient à une communauté internationale. Elle a aussi une fonction politique car elle permettra de désigner à l’avenir les députés de l’État de la diaspora africaine. Enfin, des bénéfices socio-économiques sont attachés à cette carte d’identité. Lorsqu’on la possède, on peut bénéficier de réductions sur notre compagnie africaine, du programme de télémédecine que nous avons mis en place, de stages et aussi de prêts dans notre banque à des taux préférentiels car la discrimination bancaire peut être extrêmement forte quand vous êtes d’origine africaine.
Mais cet État a-t-il un réel pouvoir ?
Je le crois. Les réactions sont déjà extrêmement positives. Nous avons des résultats. La banque est déjà créée, ainsi que la compagnie aérienne. Nous avons des avions. En ce qui concerne les réparations, nous avons déjà fait adopter par nos partenaires, au Parlement européen, en mars dernier, une résolution en faveur des restitutions et des réparations. C’est une chose concrète et non une simple vue de l’esprit. Ce n’est pas que de la communication.
Mais comment expliquez-vous que cela soit si peu connu ?
Nous n’avons pas encore communiqué en Europe. C’est l’objet de la rencontre que nous organisons le 24 octobre prochain parce que, précisément, nous ne voulions pas communiquer sur une idée, mais sur des résultats. Tant qu’ils n’étaient pas là, il n’y avait pas lieu d’en parler. Maintenant, c’est le moment de les faire connaître.
Au fond, c’est une entreprise d’autoréparation. Il y a eu des tragédies par le passé. Nous sommes déjà en train de les réparer par notre action. La création d’un État est quelque chose d’assez rare. Ils sont souvent créés dans la sécession, dans la tragédie ou dans la guerre. Nous, nous naissons d’une volonté de rassemblement, dans la paix et dans un esprit d’ouverture. C’est cela qui fait aussi notre singularité.